BIOGRAPHIE:
Poète s'exprimant par des images accompagnées souvent , il est vrai, de quelque référence manuscrite, Lionel Vinche a délaissé les activités d'homme de théâtre en 1961 pour celles de dessinateur et de peintre, qu'il va expérimenter en autodidacte. C'est mille et une histoires et aventures personnelles, prenant souvent l'allure de fabliaux humoristiques, qu'il se met à raconter d'une plume alerte et fouillée dans des dessins à l'encre aux hachures généreuses, et qu'il lui arrivera de présenter en petites icônes juxtaposées comme dans la bande dessinée. Le même esprit et un identique don narratif commandent ses peintures à la gouache et à l'huile dont le métier naïf, mais plastiquement expressif, renforce la charge poétique de ses images. Il y a chez Lionel Vinche une primitivité de la forme, héritée d'un Picasso, en même temps qu'une malignité irrévérencieuse de l'esprit, de caractère dadaïste, celle que l'on retrouve, par exemple, aussi chez ses homolgues flamands, Etienne Elias et Pjeroo Roobjee.
Jacques Meuris, le principal commentateur de l'œuvre de Lionel Vinche, a écrit: "Le sujet quasiment éternel de Vinche, c'est les autres dans l'exercice de leurs vertus et de leurs velléités. De là l'ironie. Mais de là aussi que cette charge se nuance toujours d'une dose intensive de mise en scène qui mobilise les artifices de l'irréel et ceux de l'ingénuité."
Proche d'un certain surréalisme par le regard "détourné" qu'il porte sur la réalité (André Balthazar a dialogué avec l'artiste dans le catalogue de son exposition à Tournai en 1997), Lionel Vinche met en scène des situations pourtant réellement vécues, mais dont il a l'art de porter le contenu narratif avec des horizons à la limite de l'absurde et du poétique.
Au cours des années 1980-1990, l'artiste privilégie la peinture (huile et acrylique) et les couleurs pour réaliser alors des œuvres aux frontières de la figuration et de l'abstraction gestuelle. D'une sténographie fébrile, dans un enchevêtrement rythmé de coups de brosse, se dévoile l'univers cher à l'artiste: des oiseaux, des corps de "nanas", des valets de coeur chapeautés à la Magritte, des fleurs, des locomotives, imposent leur pictographie allusive. "C'est sa parole à lui, écrit Max Loreau (qui souligne ainsi le vécu personnel qui inspire son œuvre), c'est cette vie obscure et volubile qui coule dans un grand appétit de lumière. Il voudrait embrasser le tout et même étreindre plus encore que ce que propose la vie des profondeurs cachées en lui, que ça ne m'étonnerait pas", ajoutait l'homme de lettre et l'ami de l'artiste.
Art belge au XXe siècle - Collection de la Fondation pour l'Art Belge Contemporain, Serge Goyens de Heusch, Musée de Louvain-La-Neuve, 2006.
LES JOYAUX DE LIONEL VINCHE - ROGER PIERRE TURINE
L'art de la figuration a ses variantes innombrables. La plus agréable laisse libre cours à l'imagination, à la verve poétique Une épatante exposition, l'artiste Vinche ne s'étant jamais aussi remarquablement éclaté! Nous connaissons ce poète du petit détail quotidien depuis belle lurette et si, depuis toujours, nous souscrivons pleinement à son imagerie cocasse, savoureuse, ludique, tendre et saugrenue, il fut un temps où le Vinche se perdit en de moins fécondes abstractions. Maintenant qu'il s'en est revenu à des amours qui lui collent tellement mieux à la peau, ne ménageons pas notre plaisir. L'ancien marinier n'a pas son pareil, en effet, pour faire chanter et colorer de joies vives la banalité des heures et des jours. C'est que, sous sa patte d'esthète de province, Vinche avoue un coeur gros comme la lune. Il est bien seul à pouvoir saisir comme il le fait l'anodin et l'anecdotique. Or, miracle de l'art, sous son pinceau, voilà que de modestes instants de l'existence s'animent de vérités plus authentiques et profondes que tant de balivernes jugées exemplaires!
Qu'il s'ensoleille du côté de Saint-Rémy de Provence ou s'abreuve aux eaux grises de la mer du Nord, Vinche demeure cet éternel émerveillé qui se bâtit un univers avec trois fois rien. Ce qui est «quelque chose», le génial Devos nous l'a suffisamment démontré. Lionel Vinche est de cette trempe. Quand il plonge son pinceau dans l'eau et la couleur, ce n'est jamais pour du futile. Si l'art poétique est le plus sûr moyen pour parvenir sans coup férir jusqu'aux dieux, les voies de cet exercice sont pénibles à plus d'un. Or, Vinche semble se les être appropriées depuis toujours. Il a, pour y parvenir, une manière bien à lui de procéder. Qu'il se retrouve face à la mer ou face à n'importe quel environnement, le peintre brosse, comme à plaisir, et il en est bien ainsi, de très petites vignettes emplies de sa petite émotion passagère. Une émotion que, souvent, il répète à l'envi, variant simplement la composition, la coloration, le style d'écriture, l'impression fugitive et tenace. Chaque instant béni est de la sorte préservé de l'oubli, sorte de journal de bord composé de mini-feuillets alignés à la queue leu leu. Et c'est bien plus tard, de retour dans l'atelier, que le peintre nous fomentera sa petite révolution plastique en nous composant de plus vastes fresques, les petits papiers d'hier, encollés sur une toile, alignant à perte de vue des histoires qui, répétées de vignette en vignette, divulguent ensemble une histoire complète qui a de la pêche, du tonus et dégage une ambiance digne des meilleurs funambules. Vinche joue ses partitions sur les cordes sensibles du plus délicat des équilibres, entre vérité et irréalité, entre subtilité et cette poésie de l'instant qui se savoure à perte d'haleine. Qui plus est, dans cette exposition, Vinche multiplie les cordes graphiques à son arc et c'est un régal de les découvrir.
La Libre Belgique 2005