Paul Maas a une forte personnalité. Son aventure picturale s' est déroulée loin des écoles, des chapelles, des camaraderies. Il a construit seul son œuvre et l' a menée à bien. ll ne fait rien pour susciter la sympathie, il n' expose que lorsqu' il en a envie: c'est-à-dire rarement. Il ne raconte pas d' anecdotes, il est étrangement réticent lorsqu' il s' agit de lui-même et de son œuvre. Il ne se confie pas. Il estime d' ailleurs qu' il n' a rien à dire sur lui-même. Mes toiles sont là, il vous appartient de les apprécier ou de les détester. Si, si ne protestez pas. Il y a des gens que ma peinture irrite vivement. Une seule amitié de peintre éclaira sa vie: celle qui le lia à Ramah, surtout vers les années 20-25 lorsqu' il pratiquait une peinture "constructiviste" proche encore d' un cubisme beaucoup trop rigoureux pour son tempérament fougueux et passionné. Il est certain que l' expressionnisme, avec toute sa fougue, convient beaucoup mieux au tempérament survolté de Paul Maas. Expressionniste, mais à la manière d' un Kokoschka ou d' un Soutine, Paul Maas n' a rien de commun avec l' expressionnisme flamand tel que l' affirmèrent un Permeke ou Gust de Smet. Il est loin des "peintres en sabots" de Laethem-Saint-Martin. Mais comme le fait très justement observer Emile Langui dans "50 ans d' art moderne" on compte dans divers pays autant de factures expressionnistes qu' il y a de peintres expressionnistes. Par ailleurs, la définition de l' expressionnisme que donne Emile Langui convient parfaitement à Paul Maas..."Il ne s' agit pas de se laisser impressionner par la chose que l'on perçoit, mais d' exprimer la chose que l'on sent. L' image psychique se superpose à l' impression optique. Tout est repensé, recréé et animé selon la volonté et le tempérament de l' artiste, arbitrairement et sans l' ombre d' un système. Quoi qu' elle représente: nature morte, figure ou paysage, la toile expressionniste est d'abord un portrait et une confession de son auteur. Paul Maas ne pouvait se joindre à ceux de Laethem. Enfant des villes, bruxellois (de père flamand et de mère wallonne), ses thèmes d' inspiration sont la cité, les scènes de rue, les plages, mais surtout les personnages, toute l' humanité grouillante, myriadaire qu'il excelle à rendre dans un fourmillement lumineux. Parfois de cette masse, il extrait tel ou tel visage et le porte à la lumière, l' examinant curieusement et cruellement, le révélant avec ses misères, ses tares, ses défauts. Ce n' est pas une peinture "facile" que Paul Maas, et sa peinture n' est pas de tout repos. Elle inquiète. La peinture ne me paraît intéressante que lorsque l' on s' y découvre, dit-il. Je peins pour me connaître. La peinture naît de la peinture. Elle constitue une explication valable de l' artiste, mais il ne faut pas qu' il la commande. Lorsque l' intelligence commande seule, c' est l' échec. J'en ai fait l' expérience, et pendant une dizaine d' années, je n' ai plus avancé -époque constructiviste. En 1930, je suis retombé sur mes pattes. Paul Maas a rencontré Ensor, de Saedeleer, les frères Haesaerts, les van de Woestyne, Tytgat, H. Daeye, Gust de Smet. Il les a tous connus, approchés, mais il n' y a pas eu d' amitié, d' échanges. Paul Maas est demeuré sur sa réserve. Il ne se lie pas. Il ne s' engage pas sous une bannière. Il est egoïstement lui-même. Et c' est peut-être une question de vie ou de mort pour cet artiste septentrional plus soumis à son instinct qu' aux impératifs de sa raison, qui évoque l' absurde de certaine condition humaine. Que vous dire de Paul Maas, sinon ce qu' il a bien voulu me confier? Une jeunesse sans doute comme tant d' autres - il aspire à être un homme parmi les autres, "l'uomo qualunque" - des études en marge desquelles il dessine et il peint; 24 ans, la guerre, blessé, évacué en Hollande, et là, sans savoir comment, peut-être parce qu' il sentait confusément qu' il avait quelque chose à dire, mais qu' il ne savait pas encore comment il l' exprimerait, il s' est remis à dessiner, à peindre. Sans maître, sans conseils, sans critiques. Il s' est formé lui-même. Devant l' étrange prolifération des personnages nés de la palette de Paul Maas, devant tous ces visages parfois hâtivement brossés, dans une sorte de fièvre panique et de transe, devant ces "masques", on s'inquiète. Quel est donc ce tourment secret qui le ronge et le pousse à accuser aussi cruellement ses contemporains, son époque? Mais ne croyez pas que ce peintre soit celui des pénombres, c' est aussi au grand soleil méditerranéen -qui éclaire brutalement tout ce qu' il touche- qu' il réalise ses œuvres. Ensor, à Ostende, avait trouvé d' innombrables visages, des masques. Paul Maas, à Cannes, où il réside plusieurs mois de l' année, a trouvé, lui aussi, son terrain de chasse. Surtout à l' époque du festival. Cannes est peut-être pour lui ce qui jadis pour Ensor l' Ostende d' avant 1914, l' endroit mondain où aboutissent toutes les routes d' Europe, où viennent s' agglomérer, comme des phalènes autour d' une lumière, tous les étrangers attirés par le luxe, les fêtes, les plaisirs et aussi, ne l'oublions pas, ceux pour qui le Paradis se situe à la Côte d' Azur, les riches et les pauvres. Car il n'y a pas que des estivants fortunés, il y a les autres. Ne nous étonnons pas de voir, en plein soleil, des estivants à la peau dorée, aux lunettes de soleil, mais aussi des aveugles tendant désespérément leur canne blanche, des pauvres, des clochards. Par-dessus tout cela, un soleil de Dieu-le-Père, qui exalte l' élan vital, qui baigne brutalement toutes les couleurs, morcelle les lignes... au loin, la grande bleue: la vie est là, simple et tranquille, la mer, le ciel, les palmiers. Mais il y a les hommes, la foule grouillante, polycéphale avec ses appétits, ses soucis, ses tracas, ses joies vulgaires. Et cela, Paul Maas ne peut l'oublier.