BIOGRAPHIE:
Peintre, aquarelliste, xylographe, aquafortiste et lithographe figuratif. Suit dès ses douze ans des cours de dessin à Bruxelles. Etudie l' architecture et la sculpture à l' Académie de Bruxelles. Reprend dans ses œuvres et de facon très rigoureuse les thèmes de P. Brueghel et de J. Bosch. Illustre d' eaux-fortes "Ulenspiegel"; de Charles De Coster. Réside et travaille à Bruxelles jusqu'en 1914. Séjourne quelques années aux Pays-Bas avant d' emménager à Paris vers 1920. Dirige sa propre Académie à Paris pendant six ans. Aux Pays-Bas, membre de "Arti et Amicitiae", de Sint-Lucas et du cerle "De Onafhankelijken". En France, membre de La Nationale des Beaux-Arts et du Trait. Œuvres dans de nombreux Musées dont Bruxelles, Amsterdam, Arnhem, Dordrecht, La Haye, Otterlo, Paris, Dresde, Munich, Moscou, Prague et Chicago.
Extrait de la plaquette "Nic Eekman" par A. Jacquemotte, Editions J. de Baix - 1961, Mons, Belgique
On ne cerne pas en quelques pauvres lignes, la figure d'un Eekman, philosophe, poète, humaniste, homme de bonté, figure de proue de l'art figuratif. Un homme qui est un monde et qui s'est créé par ailleurs son propre univers.
Isolé, farouche malgré sa bonté fraternelle, il a vu passer tous les essais en "isme" tous les manifestes, toutes les excommunications; aucun qui lui donnât la clef de l'éternel. Je ne crois pas me tromper en disant qu'il les a essayés pourtant. Loyalement. Honnêtement. Aucun ne le satisfit, aucun ne créa en lui cette résonnance qui est l'annonce de la communauté des rythmes. Mais en même temps, au fil des jours souterrainement, se refaisait en lui un long et mystérieux voyage, tandis que se forgeait un merveilleux métier. Un voyage à rebours vers les humanités enfuies, celles du XVe du XIVe. Oh! je comprends: il n'y est pas retourné pour peindre des gens d'alors. Ses gens sont de tous les temps. Ils ont vécu avant, ils vivront après, éternellement, dans leur éternelle attente d'une mort qui ne viendra pas. Peut-être simplement est-ce l'horreur de la mode, du passager, qui lui a fait craindre que son art ne périsse avec l'époque. Peut-être est-ce inconsciemment pour retrouver une humanité qui n'a plus à mourir, qui ne mourra plus jamais, une humanité sans âge, qu'il est revenu à ce que d'autres croient être l'attrait de son ancestralité.
Quoi qu'il en soit, il ne concevra plus jamais cette humanité et cette peinture en dehors des formes que Bosch et Breughel lui ont fait entrevoir et que son œil aigu va rechercher au fond des humanités frustres d'à présent: chez les marins au nez cassé; les goules de la campagne pour qui l'amour brutal n'est qu'une soumission de plus au destin; chez les ivrognes, les effarés, les paysans que courbe le travail sans joie, pitoyable, sous le soleil implacable, ou sous la neige.
Et voilà que le métier se courbe aussi, se souvient des merveilles du passé, de la multitude des détails inouis fondus dans l'ensemble harmonieux. De la minutie? Non. De la conscience, car il est aussi grand artisan qu'il est artiste. Et naît le rôle étonnant du décor campagnard qu'une main invisible écrase et stylise. Les rides des gens et les rides de la terre. Ce modelé terrible qu'il semble faire de rien et qu'il sculpte les gens dans les matière d'âme. Car s'il se souvient des maîtres d'autrefois, il est cependant distant comme sont deux mondes. C'est que pour eux l'image est l'image; le grotesque est le grotesque vu; les yeux des hommes sont vides et les aveugles tombent parce qu'ils butent et non parce que le destin a marqué l'heure.
Le miracle Eekmanien c'est la densité philosophique de l'œuvre mais c'est aussi cette perfection totale. Non seulement le style et le métier ont été choisis - se sont choisis- sont nés pour et en vertu de la pensée, mais ils ont atteint, avec des moyens techniques où il n'y a ni concession, ni tricheries, ni même suggestion, ni extraordinaire alchimie, à la perfection de l'œuvre.
Sur la page blanche, dont le grain a été préparé selon la sensibilité de l'heure, quelques grands traits, courbes ou droites ont été jeté une composition qui n'est encore qu'un rythme. Et le rêve commence. Les figures s'animent qui habilleront cette construction. Et la main, fidèlement, fébrilement, d'une pointe fine et précise, définit les contours, pousse le détail, cerne les demi-reliefs; le merveilleux dessin se stylise, se simplifie, s'enrichit, plus rien ne pourra être ajouté ni retranché. L'œuvre est née, dans tout ce qu'elle a de cérébral, presque de divin; entendez par là le rôle de cette sorte d'inconscient qui est le génie créateur.
Alors le sensuel paraît. Les pâtes transparentes habillent le dessin. Les mélanges -si peu mélangés- s'organisent sur la toile même. Aucune cuisine diabolique -ni glacis, ni griffages, ni sablés, ni ponçages- la joie sensible de faire riche et beau. Ne me demandez pas d'où viennent les harmonies. Cela c'est le tréfonds de la sensibilité du peintre. Peut-être ne peut-il lui-même les sentir naître que les yeux fermés dans le silence de sa chanson intérieure.