BIOGRAPHIE:
Peintre de portraits, natures mortes, caricatures, illustrations et paysages tourmentés. Aquarelliste et pastelliste. Il a connu une enfance miséreuse et sera ouvrier dans une fabrique de cartonnage, puis dans un garage avant d'entamer une carrière artistique. Il recoit une formation a l'école des Arts et Métiers de Saint-Ghislain. Il aime représenter le charme des vieilles coutumes minières, ou encore l'intimité des pauvres intérieurs borains. Il evoque l'homme, ses attitudes, ses gestes, ses fatigues, et le plus souvent campé dans un paysage haut en couleurs. Dans la foulée du réalisme social, Marius Carion met en place une oeuvre intime et sincère, évoquant la tristesse et la pauvreté d'une certaine vie ouvrière de l'époque. Intérieurs borains et paysages industriels sont d'authentiques témoignages de ce qu'il a perçu et ressenti face à la population du Borinage dont il s'est fait le chantre. Les lumières incertaines et brumeuses des journées d'hiver installent un mal-être et un silence pesant dans les nombreuses scènes familiales. Soucieux d'insuffler dans le trait une puissance dramatique et expressive.
Au début de sa carriere, Marius Carion attribue une place prépondérante au dessin. Il évoluera vers une conception plus synthétique du paysage dans un style proche de l'expressionnisme, alliant sobriété et dépouillement à un sens solide de la couleur. Oeuvres aux musées de Bruxelles, Spa, Liège, Tournai, Namur, Charleroi, Mons et La Louvière.
ARTICLE PARU DANS LA REVUE "SAVOIR ET BEAUTE" JANVIER 1929
UN PEINTRE DU BORINAGE M. CARION PAR FERNAND LEGRAND
Tout arrive à qui sait vouloir, disent les gens perspicaces et sages. Mais les gens perspicaces et sages ne se doutent pas toujours quelle force, quelle patience et quelle persévérance il faut a ceux qui souhaitent sortir du rang. La jeunesse de Marius Carion a été un douloureux poème. A deux ans, il perdait son père, un pauvre sabotier qui ouvrait à Blaugies. Car notre jeune artiste est né à Blaugies. Mais comme sa mère était originaire de Wasmes, il passa presque toute son existence dans cet étonnant village borain. Et pendant 20 ans, ce fut la misère, la maladie. Le peintre M. CARION était de complexion délicate. Sa mère, dont il parle avec une émotion poignante, le disputa à la mort qui le guettait ! S'il vit, c'est à sa maman qu'il le doit. De ces années profondément mélancoliques, Carion a gardé une empreinte qu'il conservera toujours et que l'on retrouve dans la tristesse des yeux et dans l'amertume de la bouche. Et cette mélancolie se retrouve aussi dans toute son ouvre. Chose qui paraîtra curieuse, s'il est devenu artiste, c'est grâce à la guerre. Il avait travaillé tour à tour dans une cordonnerie, dans une fabrique de cartonnage, puis dans un garage. Et voilà que les Allemands se mettent à déporter chez eux tous nos ouvriers à l'exception de nos charbonniers. Marius Carion, malingre, presque sans vie, cherche un refuge à l'Institut des Arts et Métiers de Marius Renard. Il y est accueilli à bras ouverts. Et c'est dans cette école qu'il se forme, qu'il entrevoit l'horizon qui sera le sien désormais; c'est dans cette école qu'il se fait la main, qu'il se sent " pris " par l'Art, qu'il apprend à graver, et, si bien qu'en 1921 il est classé 2e à l'examen d'admission pour le concours de Rome pour la gravure. Aussi Carion a-t-il conservé pour l'excellent - établissement qui l'a formé, qui l'a tiré de l'ornière, une sincère et vigoureuse reconnaissance. Ah! cette guerre que de métiers elle amena dans le pays borain, tenu impitoyablement dans le terrible étau que l'on appelait " zone d'étape " ! Le petit graveur et sa mère connurent la faim. Un jour, dans leur logis désolé, ils ne trouvèrent ni pain, ni même les quelques sous qu'il fallait pour se procurer la pauvre " ration " dévolue à chacun en ce temps-là. Et alors la maman et le fils se souvinrent que dans un coin de la cave il y avait un tas de petites bouteilles. Ils allèrent les cueillir firent leur toilette et le pharmacien qui habitait non loin de chez eux leur en donna 1 fr. 70 ce qui leur permit d'avoir un peu de pain sec à se mettre sous la dent. Je m'excuse d'avoir rappelé tout cela. C'était nécessaire.
L'oeuvre de Carion fait corps avec sa vie, est sortie de sa dure existence d'enfant maladif et pauvre. Comme elle est sortie du milieu si particulier, si inattendu dans lequel il a vécu. Wasmes ! Le village le plus pittoresque de ce Borinage où tout le passé n'est pas mort heureusement. Wasmes : une vraie petite Suisse ". Deux Wasmes ; le grand qui se trouve dans la vallée, le petit, installé en haut de l'une des grandes lèvres et qui semble narguer le peuple des maisons placées en-dessous. Wasmes : montagnes russes, tobogans. Des rues grimpent les flancs des coteaux et zigzaguent le plus capricieusement, le plus comiquement du monde. Des rues, sont-ce des rues? Quant aux maisons, les architectes-entrepreneurs d'autrefois et qui aimaient la drôlerie les ont accrochées à la diable et en se riant de la symétrie tant en honneur de nos jours, de la symétrie, qui tue le pittoresque et l'imprévu. Et ces maisons sont petites, basses, sans étages, avec les yeux rêveurs et mélancoliques. Leurs pignons vont du blanc éclatant au gris sale tandis que les toits sont criards avec leurs tuiles d'un rouge vif.
Placez dans ce milieu d'un rare pittoresque et qui fait crier d'admiration tous les artistes qui s'y égarent, des terrils noirs, des châssis à molettes " noirs eux aussi, des cheminées couvertes de langues de suie et qui crachent, vomissent de la fumée toute l'année; ajoutez de ci, de là des arbres, des plaques de verdure et dites-moi s'il n'y a pas de quoi avoir une envie folle de barioler des toiles quand on voit devant soi un panorama pareil. Marius Carion y a vécu, y a rêvé, s'y est promené, a respiré l'air âpre et violent de ce diable de Borinage où tout le monde est un peu artiste. Mieux et plus : il s'est mêlé au peuple borain, a écouté battre son coeur tout de générosité, a regardé avec avidité ces intérieurs troublants, en a senti toute la poésie intime, toute la grisaille, a cherché à voir jusqu'au fond des âmes de ceux qui les habitent, a revécu l'histoire douloureuse de cette classe ouvrière des mines, qui a tant souffert, qui a tant pleuré, qui a si souvent vu Sa mort rôder autour des corons assis en rond sur les flancs de la vallée.
Les artistes qui ont " découvert " le Borinage s'en sont inspirés tel le grand Constantin Meunier qui s'y arrêta plusieurs semaines. Des peintres borains comme Modeste Carlier de Quaregnon y ont vécu sans songer à en parler dans leurs ouvres. Plus près de nous, il arriva que de brillants élèves de l'école montoise s'y aventurèrent. Ils peignirent des toiles qui furent de beaux morceaux, certes, mais qui n'en étaient pas moins superficielles. On ne " trouve " pas en un jour voire en des mois. Pour voir jusqu'au fond des choses et des gens, il faut beaucoup plus de temps que cela : il faut y avoir vécu des années et encore des années, il faut y être né, s'être " incorporé " au milieu, il faut appartenir à ce milieu par la vie, par la chair, par le sang, par les entrailles, par l'esprit et surtout par le cour.
Carion est un Borain, s'est épris de son Borinage comme un amant d'une maîtresse et c est pourquoi il fait entendre un son de cloche que l'on n'avait pas encore " rendu " avant lui. Son ouvre est essentiellement boraine, mais son caractère régionaliste ne l'empêche pas d'être humaine. Nul mieux que lui n'a exprimé le charme prenant de vieilles coutumes : le retour, la veille de Ste Barbe, des hommes et femmes attachés a la fosse, la " bistoque " qui montre le petit enfant offrant le cadeau traditionnel au papa, au chef couvert de la calotte de cuir. Nul "mieux que lui n'a dit l'intimité pauvre des intérieurs borains : je songe à Convoitise, je songe au Bénédicité, a certaines natures-mortes si pathétiques. Nul mieux que lui n'a saisi la poésie miteuse des petites maisons à façade blanche et aux auvents verts. Nul mieux que lui, peut-être, n'a donné les divers aspects de cette région un peu chaotique suivant les saisons. Nul mieux que lui n'a rendu les couleurs plutôt vives qui piquent le paysage, n'a croqué les attitudes, les poses, les gestes de l'ouvrier borain, n'a évoqué les drames douloureux de la mine. Je pense en écrivant ces derniers mots à un triptyque qui conte la vie du mineur : la Chanson d'amour sur le panneau de gauche. la Chanson de mort sur le panneau central, après le coup de grisou et le Culte du souvenir sur le-panneau de droite car notre Borinage a aussi ses " croix de bois ". Dans tout cela apparaît la sympathie de l'artiste pour son curieux village, pour sa région bossuée et un peu tragique, et cette sympathie donne à ses tableaux un grand parfum de vérité et de sincérité. On ne peint bien que ce qu'on aime bien. Et Carion aime son Borinage qu'il compare volontiers à la Bretagne.
Jusque dans ces derniers temps, les sanguines, les pastels, les aquarelles, les peintures (qui ne datent que de peu) semblaient un tantinet chargés, lourds. C'est que le peintre borain a toujours attribué au Dessin la part du lion, ce qui donnait à ses productions une allure un peu photographique.
Quel souci du detail ! Quelle crainte de ne pas être suffisamment précis et vrai ! Le trop nuit en tout, Carion péchait donc par excès de dessin. Fruit de ses essais de graveur ?
Résultat du milieu dans lequel il a vécu et où- tout est détails, où les grandes lignes sont absentes ? Je le crois et je n'en veux pour preuve que l'influence exercée sur ses dernières toiles par le voyage qu'il fit récemment en Angleterre. Notre peintre a eu l'occasion de vivre pendant quelques semaines dans le Derbyshire (Comté de Derby) où le paysage est largement découpé, brumeux, simple, terne, avec de la grandeur sans être réellement beau. Carion a été vivement - et j'ajoute heureusement - impressionné par ce paysage a caractère synthétique et on s'en rendit bien compte à l'exposition de Charleroi, au mois de septembre 1928, où l'on put voir un nouveau Carion bien différent de l'ancien. Son Paysage des herbières, certains coins du Borinage et le remarquable Angélus dénote chez lui une sobriété du meilleur aloi et que l'on chercherait en vain dans ses ouvres précédentes. Son art s'est dépouillé, est devenu moins analytique, plus ferme, plus solide et les couleurs ont perdu un peu de leur crudité. Sa Communiante et son Laboureur et un magnifique paysage borain. L'Inondation ont de la simplicité, de la vigueur et, avec ça, de l'élan.
Que Marius Carion continue à ouvrer avec la même ardeur, avec le même souci de bien faire, d'être vrai et sincère et juste et humain. Il a l'étoffé, l'âme (bien que timide, bien qu'un peu féminine) d'un grand artiste et il a la foi, l'enthousiasme, l'énergie, la persévérance sans lesquels rien de vraiment beau ne peut etre enfanté.
Ceux qui le connaissent ont confiance dans son destin.
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